Vidocq, 1837 : — Les Rutières sont des filles publiques d’un genre tout particulier, que la police appelle Filles isolées. Elles sont toutes voleuses, et exercent dans les rues qui avoisinent le Palais-Royal, et les rues désertes.
La mise des Rutières, qui marchent toujours deux de compagnie, est semi-bourgeoise. Elles ne font pas ce qu’en terme du métier on nomme miché, mais elles accostent sur la voie publique l’individu sur lequel elles ont jeté leur dévolu, et savent en un clin-d’œil lui enlever sa bourse, son portefeuille ou sa montre.
Les Rutières ont quelquefois commis des vols très-considérables. Dans le courant de l’année 1813, deux de ces femmes, Pauline la Vache et Louise la Blagueuse, enlevèrent 50,000 francs de billets de banque à un officier payeur qui devint presque fou de désespoir. Une autre fois, la belle Lise et Julie Petit-Jean volèrent à un marchand de blé de la Beauce une bourse contenant 8,500 francs en or.
Les amans des Rutières sont presque toujours derrière elles, et dès qu’elles ont fait un chopin (un vol), si elles sont coiffées d’un bonnet et sans châle, elles sont aussitôt affublées d’un chapeau et couvertes d’un châle que leur amant tient en réserve. Elles ne craignent donc pas d’être reconnues par la personne qu’elles ont volé, si par hasard elles rencontrent cette personne avant que le chopin soit déposé en lieu de sûreté.
Les Rutières volent rarement ailleurs que sur la voie publique, car elles connaissent l’article du Code Pénal qui punit de la réclusion les vols commis dans l’intérieur d’une maison habitée. À l’approche des grandes fêtes toutes les Rutières que l’on pouvait attraper étaient arrêtées, et on les envoyait passer quelques mois à Saint-Lazare.
Le récit d’une aventure assez comique qui arriva à un agent secret de la police de sûreté de la ville de Paris, en 1815, trouve sa place naturelle à la suite de cet article sur les Rutières.
Cet agent suivait depuis déjà long-temps deux Rutières très-adroites, nommées Agathe Flot, dite la Comtesse, et Émélie Nanjou. Rue Saint Honoré, à la hauteur de l’hôtel d’Angleterre, ces deux femmes abordèrent un vieux monsieur auquel elles enlevèrent une bourse verte, après une conversation de quelques instans. Lorsque le vol fut commis, l’agent s’approcha des deux Rutières qui ne connaissaient pas sa qualité, et qui lui apprirent que la bourse qu’elles venaient d’enlever contenait cinquante Napoléons. L’agent, qui n’avait pas perdu de vue le vieux monsieur, quitta les Rutières après leur avoir donné rendez-vous, et alla rejoindre leur victime au café qui, à cette époque, occupait le coin des rues Richelieu et Saint-Honoré.
« Monsieur, dit-il au vieillard, lorsque vous êtes sorti de chez vous vous aviez une bourse de soie verte? — Oui, Monsieur. — Cette bourse contenait cinquante Napoléons. — Oui Monsieur. — On vient de vous la voler. — C’est vrai, Monsieur, répondit le vieillard, après avoir fouillé dans toutes ses poches. — Eh bien ! Monsieur, si vous voulez me suivre, vous retrouverez votre bourse, et les deux femmes qui vous l’ont volée seront arrêtées. — Vous êtes mouchard, à ce qu’il paraît, dit alors le vieillard. — Je suis agent de la police de sûreté, répondit son interlocuteur. — Eh bien ! monsieur-le Mouchard, je ne veux pas aller avec vous. Je veux être volé, moi ; cela me convient ; qu’avez-vous à dire à cela ? » L’agent, qui ne s’attendait pas à une pareille réception, se retira honteux comme un renard qu’une poule aurait pris.
Delvau, 1866 : s. f. Fille publique d’une catégorie à part décrite par Vidocq (p. 73).
Rigaud, 1881 : Fille et voleuse de joie.
La Rue, 1894 : Fille publique et voleuse.
Virmaître, 1894 : Voleuse ou fille publique, souvent les deux à la fois (Argot des voleurs).
France, 1907 : Fille publique qui raccroche dans les rues et qui vole à l’occasion.