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Œ

Œil

d’Hautel, 1808 : Taper de l’œil. Se laisser aller au sommeil ; dormir profondément.
Retaper de l’œil. Redormir après un sommeil interrompu ; dormir de plus belle.
Tortiller de l’œil. Finir, ses jours ; mourir, s’endormir dans l’éternité.
Elle lui a donné dans l’œil. Se dit d’une femme qui a su plaire à un homme, qui a gagné son cœur.
Pas plus que dans mon œil. Pour dire point du tout.
Cela n’est pas pour tes beaux yeux. Signifie, ce n’est pas pour toi ; n’y compte pas.
L’œil du fermier vaut fumier. Pour dire que tout fructifie sous l’œil du maître.
Autant vous en pend à l’œil. Pour, il peut vous en arriver tout autant.
Une mouche qui lui passe devant les yeux, le fait changer d’avis. Se dit d’un homme inconstant et léger, qui change à chaque instant d’avis.
Cette chose lui crêve les yeux. Pour dire est ostensible, très-évidente.
Quand on a mal aux yeux, il n’y faut toucher que du coude. Pour, il n’y faut point toucher du tout.
Des yeux de chat. De petits yeux hypocrites.
Des yeux de cochon. Des yeux petits et renfoncés.
Des yeux de bœufs. De gros yeux très-saillans et fort bêtes.
Le peuple désigne ordinairement et par facétie le pluriel de ce monosyllabe par le nom de la première lettre qui le compose, et dit des II (grecs) pour des yeux.

Vidocq, 1837 : s. m. — Crédit.

Larchey, 1865 : Crédit. — Noté comme terme d’argot dans le Dictionnaire du Cartouche de Grandval, 1827.

Je vous offre le vin blanc chez Toitot ; — j’ai l’œil.

(Chenu)

La mère Bricherie n’entend pas raillerie à l’article du crédit. Plutôt que de faire deux sous d’œil, elle préférerait, etc.

(Privat d’Anglemont)

En m’achetant à l’œil, ma plus belle marée.

(Ricard)

Ouvrir l’œil : Accorder du crédit.

La fruitière n’a jamais voulu ouvrir d’œil : elle dit qu’elle a déjà perdu avec des artistes.

(Champfleury)

Fermer l’œil : Ne plus vouloir accorder de crédit. — Donner dans l’œil : Plaire, fasciner.

Ma personne avait peine à te donner dans l’œil.

(Le Rapatriage, dix-huitième siècle)

Avoir de l’œil, Tirer l’œil : Produire de l’effet. — Terme d’impression. On dit aussi en parlant d’un tableau à effet qu’il a de l’œil.

La chose a de l’œil. C’est léger, mais c’est trop léger.

(A. Scholl)

Aux provinciaux que l’œil de son ouvrage a attirés chez lui.

(P. Borel)

Faire l’œil :

Le faiseur d’œil n’a pas de prétention positive. Il promène sur toutes les femmes son regard de vautour amoureux ; il a toujours l’air d’un Européen lâché au milieu d’un sérail… Pourtant aucune femme n’est le point de mire de cette fusillade de regards. C’est au sexe entier qu’il en veut. Il fait l’œil, et voilà tout.

(Roqueplan)

V. Américain. — Ouvrir l’œil : Sur veiller attentivement. — Se battre l’œil, la paupière : Se moquer.

Gilles. Ah ! fussiez-vous elle ! — Isabelle. Ton maître s’en bat l’œil.

(le Rapatriage, parade, dix-huitième siècle)

Que Condé soit trompé par le duc d’Anjou, je m’en bats l’œil !

(A. Dumas)

Mon œil ! Synonyme de Des fadeurs ! Des navets ! V. ces mots.

Quand le démonstrateur expose la formation des bancs de charbon de terre, mon voisin s’écrie avec un atticisme parfait : Oui ! mon œil ! Au système du soulèvement des montagnes, il répond triomphalement : « Oui ! Garibaldi ! »

(E. Villetard)

Cette expression est typique. Dès qu’une chose est à la mode au point d’accaparer toutes les conversations, les Parisiens procèdent eux-mêmes contre leur engouement, et font de son objet une dénégation railleuse essentiellement variable. C’est ainsi qu’après les événements d’Italie, on a dit : Oui ! Garibaldi ! — Auparavant, on disait : Oui ! les lanciers ! parce que cette danse avait envahi les salons. — Taper de l’œil :

Dormir profondément.

(d’Hautel, 1808)

Monsieur, faites pas tant de bruit, je vais taper de l’œil.

(Vidal) 1833.

Si nous tapions de l’œil ? Ma foi ! j’ai sommeil.

(L. Gozlan)

Tourner, tortiller de l’œil : Mourir. V. d’Hautel, 1808.

J’aime mieux tourner la salade que de tourner de l’œil.

(Commerson)

J’voudrais ben m’en aller, dit le pot de terre en râlant. Bonsoir, voisin, tu peux tortiller de l’œil.

(Thuillier, Ch)

Pas plus que dans mon œil. V. Braise. — Œil de verre : Lorgnon.

Ces mirliflors aux escarpins vernis, Aux yeux de verre.

(Festeau)

Quart d’œil : Commissaire de police.

Delvau, 1866 : s. m. Bon effet produit par une chose, bonne façon d’être d’une robe, d’un tableau, d’un paysage, etc. On dit : Cette chose a de l’œil.

Delvau, 1866 : s. m. Crédit, — dans l’argot des bohèmes. Avoir l’œil quelque part. Y trouver à boire et à manger sans bourse délier. Faire ou ouvrir un œil à quelqu’un. Lui faire crédit. Crever un œil. Se voir refuser la continuation d’un crédit. Fermer l’œil. Cesser de donner à crédit.
Quoique M. Charles Nisard s’en aille chercher jusqu’au Ier siècle de notre ère un mot grec « forgé par saint Paul » (chap. VII de l’Épître aux Éphésiens, et chap. III de l’Épître aux Colossiens), j’oserai croire que l’expression À l’œil — que ne rend pas du tout d’ailleurs l’όφθαλμοδουλεία de l’Apôtre des Gentils — est tout à fait moderne. Elle peut avoir des racines dans le passé, mais elle est née, sous sa forme actuelle, il n’y a pas quarante ans. Les consommateurs ont commencé par faire de l’œil aux dames de comptoir, qui ont fini par leur faire l’œil : une galanterie vaut bien un dîner, madame Grégoire le savait.

Delvau, 1866 : s. m. Le podex, — dans l’argot des faubouriens facétieux. Crever l’œil à quelqu’un. Lui donner un coup de pied au derrière.

Rigaud, 1881 : Crédit. — L’œil est crevé, plus de crédit. C’est-à-dire l’œil du crédit est crevé. Une vieille légende fait mourir Crédit d’un coup d’épée qu’il a reçu dans l’œil. Sur les anciennes images d’Épinal ou voit Crédit succombant à sa blessure et au-dessous cette devise : Crédit est mort, les mauvais payeurs lui ont crevé l’œil.

France, 1907 : Crédit. Avoir l’œil, avoir crédit chez un débitant.

Une fois son argent reçu, le compositeur paie les dettes qui lui semblent les plus essentielles : c’est le marchand de vin et le gargotier où il pourra retrouver du l’œil, c’est-à-dire du crédit.

(Jules Ladimir, Le Compositeur typographe)

Avoir l’œil se dit aussi dans le sens de faire attention, voir ce qui se passe autour de soi. « Il faut avoir l’œil dans notre métier, disait une matrone de maison à gros numéro, et surtout ne pas le faire, »

Œil (à l’)

La Rue, 1894 : À crédit. Gratis.

Hayard, 1907 : À crédit.

France, 1907 : Gratis, pour rien. Boire, manger, faire l’amour à l’œil !

D’abord, il avait des principes et s’était fabriqué un code de la galanterie pour son usage personnel.
À l’œil en était l’article premier et fondamental. Payer les femmes ? fi donc… Les assimiler à des marchandises, alors ?… Quelle humiliation pour elles ! La véritable monnaie pour payer ces charmantes créatures, ce sont les baisers et les preuves d’amour au déduit, comme disait le bon Rabelais. De cet argent-là, il avait toujours plein sa bourse.

(Le Régiment)

Travailler à l’œil, travailler sans être payé, gratis pro Deo.

L’abbé, qui s’y connait, traite un peu les enfants comme sa protégée Annette ; il les exploite ; ils travaillent à l’œil, pour un salaire au moins insignifiant et pour une becquetée de fayots, accompagnés d’hosties de temps en temps.

(Francis Enne, Le Radical)

Œil (avoir à l’)

anon., 1827 : Sans payer.

Raban et Saint-Hilaire, 1829 : Partir sans payer.

Bras-de-Fer, 1829 : Avoir sans payer.

Œil (avoir de l’)

Rigaud, 1881 : Avoir bonne apparence, en parlant des choses ou des objets de consommation. — Cette étoffe a de l’œil. — Ce faisan rôti a de l’œil.

France, 1907 : Avoir un bon aspect, se bien présenter. Se dit en parlant d’une chose, « Cette robe à de l’œil. »

Œil (avoir l’)

Halbert, 1849 : Sans payer.

Delvau, 1866 : Faire bonne garde autour d’une personne ou une chose. On dit aussi Ouvrir l’œil.

Rigaud, 1881 : Avoir crédit.

Ma bourse est en deuil,
Pour faire bombance
Bien heureux qu’a l’œil.

(J. Goizet, Bien heureux qu’a l’œil, Chans.)

Œil (boucher ou crever l’)

France, 1907 : Cesser de faire crédit.

Elle se fit à tout, aux privations, aux longues flânes à la brasserie, à la soucoupe qu’on ne sait comment régler, à l’incertitude du lendemain, à la chasse au repas, à l’humiliation de se voir boucher l’œil. Du moment que son Camille, « un si bon garçon qui m’a eue sage et que je ne tromperai jamais », aimait ce genre de vue s’y plaisait même comme le poisson dans l’eau, elle arrivait à s’y plaire également et n’aurait pas changé son sort contre un autre. Seulement, voilà ! pour mener une pareille existence, il faut de la santé.

(Paul Alexis)

Œil (carte à l’)

France, 1907 : « Il est quelquefois nécessaire au grec de connaître une carte dans le jeu. Avec une prestesse extrême, il ouvre, d’une seule main, à l’aide du petit doigt, le jeu à l’endroit où se trouve cette carte et, d’un coup d’œil rapide, en prend connaissance. Ce mouvement, prompt comme l’éclair, ne peut être aperçu des joueurs, parce qu’il est fait en gesticulant, et que le dos des cartes est tourné de leur côté. C’est ce qui s’appelle la carte à l’œil. »

(Robert-Houdin, Tricheries des grecs)

Œil (donner dans l’)

Rigaud, 1881 : Plaire à première vue, en parlant des personnes. — Avoir envie de, en parlant des choses. Cette femme m’a donné dans l’œil. — Cette bague lui a donné dans l’œil.

Œil (faire de l’)

Delvau, 1866 : Donner à penser des choses fort agréables aux hommes, — dans l’argot des petites dames ; regarder langoureusement ou libertinement les femmes, dans l’argot des gandins.

Rigaud, 1881 : Jouer de la prunelle comme les Espagnoles jouent de l’éventail.

La Rue, 1894 : Chercher à séduire par des œillades. Taper de l’œil, dormir. Mon œil ! formule négative. Se battre l’œil, se moquer.

Virmaître, 1894 : Les filles font de l’œil aux passants qu’elles veulent raccrocher :


Ses deux beaux chasses vous rembroquaient
Puis à la piaule tous les gonces rappliquaient.

dit la chanson du marlou (Argot des filles).

Œil (faire l’)

Rigaud, 1881 : Vendre à crédit.

Elle préférerait faire crier par les rues toutes ses cuites à sa fille que de faire deux sous d’œil.

(Privat d’Anglemont)

Virmaître, 1894 : Avoir à crédit chez les fournisseurs. Dans le peuple, quand on oublie de payer, le fournisseur refuse crédit ; alors on dit que l’œil est crevé (Argot du peuple).

France, 1907 : Faire crédit. Refuser le crédit se dit crever l’œil. On dit d’un marchand qui fait crédit pour une certaine somme, qu’il ouvre l’œil de tant. « Mon mastroquet m’a ouvert l’œil de dix francs. » « Baluchon a un œil ouvert chez le bistrot du coin. »

Quoique M. Charles Nisard – dit Alfred Delvau – s’en aille chercher jusqu’au premier siècle de notre ère un mot grec « forgé par saint Paul »… j’oserai croire que l’expression à l’œil… est tout à fait moderne. Elle peut avoir des racines dans le passé, mais elle est née sous sa forme actuelle, il n’y a pas quarante ans. Les consommateurs ont commencé par faire de l’œil aux dames de comptoir qui ont fini par leur faire l’œil : une galanterie vaut bien un diner…

(1883)

Faire de l’œil, regarder une personne de façon à lui faire comprendre qu’on se livrerait volontiers avec elle à une joute amoureuse. « Souvent, à force de faire de l’œil à une femme, on finit par lui taper dans l’œil. »

Entre femmes du monde, à la messe d’une heure à la Madeleine :
— N’est-ce pas, chère, que le nouveau chapeau de la comtesse est diantrement toc ?
— Oh ! oui. Il est tout à fait fin du demi-monde. Dites donc, mignonne, avez-vous remarqué comme le vicaire m’a fait de d’œil à la quête ?

Œil (faiseur d’)

Rigaud, 1881 : Homme qui cherche à séduire une femme au moyen d’œillades incendiaires.

Le faiseur d’œil n’a pas de prétention positive et précise. Il promène sur toutes les femmes son regard de vautour amoureux, ses yeux sont illuminés d’un feu de charbon de terre ; il a toujours l’air d’un Européen lâché dans un sérail ; sa prunelle s’abaisse, se relève comme le soufflet d’un accordéon.

(N. Roqueplan, la Vie de Paris)

Œil (mon)

Rigaud, 1881 : Variante de :

Des navets ! des nèfles ! du flan !

Œil (mon) !

France, 1907 : Expression de refus, synonyme de Du flan ! Des navets !

Œil (s’en battre l’)

Rigaud, 1881 : S’en moquer. Voir une chose, entendre une proposition avec indifférence. — Je m’en bats l’œil, ça m’est bien égal. On dit aussi : s’en battre la paupière.

France, 1907 : S’en moquer. On dit aussi dans le même sens : s’en battre les fesses.

Le roi dit : Je m’en bats les fesses.

(Scarron, Virgile travesti)

Or, puisque le populo parisien en vient à oublier les horreurs de la semaine sanglante, — qui pourtant le touchent de près ! — y a rien d’épatant à ce qu’on se batte l’œil de l’écharpement des cent mille chrétiens d’Arménie… Des types qu’on a jamais vus, qui se frusquaient autrement que nous, et baragouinaient une langue incompréhensible !
Leur plus grand tort a été de se lasser écharper.
Dans l’histoire, — aussi bien dans l’histoire d’hier que dans celle d’il y a deux ou trois mille ans, les vaincus ont toujours été mal vus et peu considérés.

(Le Père Peinard, 1897)

Œil (se mettre le doigt dans l’)

France, 1907 : Ne pas voir les choses telles qu’elles sont ; se tromper grossièrement. C’est surtout en politique que le peuple se met certainement le doigt dans l’œil. « Il s’est formé à Londres, auprès la Commune, une société de proscrits, qui, ramassant des idées ressassées depuis plus de cent ans et collectionnant des théories d’une utopie irréalisable, fut dénommée par les camarades d’exil la Société du Doigt dans l’œil. »

Œil (tape à l’)

Rigaud, 1881 : Personne dont la paupière paralysée est complétement fermée.

Œil (taper de l’)

Rigaud, 1881 : Dormir. — Tourner de l’œil, mourir.

Œil (tire l’)

Rigaud, 1881 : Objet qui attire l’attention, mais qui n’a pas une grande valeur. — Clinquant.

Œil à la coque

Virmaître, 1894 : Recevoir sur l’œil un formidable coup de poing qui le poche et en fait un œil au beurre noir. La violence du coup fait extravaser le sang et le lendemain, l’œil est couvert par une large tâche noire. On appelle alors le blessé : tape à l’œil (Argot du peuple).

Hayard, 1907 : Œil poché.

France, 1907 : Même sens qu’œil au beurre noir.

Œil américain

France, 1907 : Œil scrutateur qui observe tout, ne laisse rien échapper de ce qui se passe : allusion à la vue perçante prêtée aux tribus indiennes de l’Amérique par Fenimore Cooper dans ses célèbres romans, entre autres Œil-de-Faucon. Cette expression tend à remplacer cette autre de plus vénérable origine : yeux d’Argus. On dit généralement des femmes, plus observatrices des détails que les hommes, qu’elles ont l’œil américain, et aussi qu’elles ouvrent l’œil. Mais ouvrir l’œil, c’est être circonspect, prudent, ne pas agir à la légère. Les Grecs disaient : Le loup à l’œil au bois. Le loup, en effet, s’éloigne rarement du bois : il ne le perd pas de vue, toujours prêt à y trouver un refuge. Nous avons, pour exprimer la surveillance attentive du maître : avoir l’œil au chanin et à la ville.
On lit dans le Trésor des Sentences du XVIe siècle, de Gabriel Meurier :

Un seul œil a plus de crédit
Que deux oreilles n’ont d’audivi.

On dit vulgairement : ouvrir l’œil et le bon.

Le vieux commandant s’apercevait bien que son sacripant de neveu tournait autour de jupes de Mariette et semblait humer les parfums sui generis autant que champêtres qui s’en exhalaient comme on hume ceux d’une rose. Il voyait approcher le moment de la décisive culbute, aussi se promeltait-il d’avoir l’œil américain, c’est-à-dire d’ouvrir l’œil et le bon.

(Les Propos du Commandeur)

Œil américain (avoir l’)

Delvau, 1866 : Voir très clair là où les autres voient trouble, — dans l’argot du peuple, qui a peut-être voulu faire allusion aux romans de Cooper et rappeler les excellents yeux de Bas-de-Cuir, qui aurait vu l’herbe pousser.

Œil au beurre noir

France, 1907 : Œil endommagé par un coup de poing.

Il aperçut Bibi-la-Grillade qui lisait également l’affiche. Bibi avait un œil au beurre noir, quelques coups de poings attrapés la veille.

(Émile Zola, L’Assommoir)

Œil au bois (avoir l’)

France, 1907 : Être vigilant, prendre garde à ses affaires. Allusion aux voleurs et aux coupe-jarrets qui hantaient les bois et obligaient par conséquent les vovageurs à ouvrir un œil attentif. Voir Œil américain.

Œil bordé d’anchois

Delvau, 1866 : s. m. Aux paupières rouges et décillées, — dans l’argot des faubouriens.

France, 1907 : Œil aux paupières rouges dépourvues de cils ; argot populaire.

Œil d’occase

Rigaud, 1881 : Œil de verre.

Œil de bœuf

Delvau, 1866 : s. m. Pièce de cinq francs.

Rigaud, 1881 : Pièce de cinq francs, — dans l’ancien argot.

Œil de cochon (faire l’œil de cochon en décomposant)

Merlin, 1888 : Jouer de la prunelle en fin roublard.

Œil de crapaud

France, 1907 : Pièce d’or, à cause de sa couleur jaune.

Œil de merlan frit

Larchey, 1865 : Œil pâmé.

Enfin cet homme de brelan à les yeux faits comme un merlan.

(Troisième Suite du Parlement burlesque de Pontoise, 1652)

Œil de perdrix

Clémens, 1840 : Pièce de 20 francs.

Œil de verre

Delvau, 1866 : s. m. Lorgnon.

Rigaud, 1881 : Monocle.

Œil en coulisse

Delvau, 1866 : s. m. Regard tendre et provocateur, — ce que Sénèque appelle en son langage sévère oculorum fluxus. Faire les yeux en coulisse. Regarder amoureusement quelqu’un.

Rigaud, 1881 : Œil amoureux, dont la prunelle va tantôt à droite, tantôt à gauche, mais toujours dans la direction de l’objet convoité, soit qu’il s’agisse, pour les hommes, d’une jolie femme, soit qu’il s’agisse, pour les femmes, d’un bijou de prix.

La Rue, 1894 : Regard tendre et provocateur.

Virmaître, 1894 : Regarder quelqu’un amoureusement, tendrement, avoir l’air de lui dire :
— Veux-tu ?
Faire le genou à sa voisine sous la table, est aussi significatif et beaucoup moins visible, surtout si le mari est là (Argot du peuple).

France, 1907 : Œil provocateur pour les joutes amoureuses.

Œil en tirelire

Delvau, 1866 : s. m. Regard chargé d’amour, provocateur, à demi clos.

France, 1907 : Œil amoureux.

Œil marécageux

Delvau, 1866 : s. m. Regard langoureux, voluptueux, — dans l’argot des petites dames.

France, 1907 : Œil chassieux, argot populaire, ou langoureux dans celui des filles.

Œil ou nez malade ne touche que du coude (à)

France, 1907 : Il est évident qu’on ne peut pas plus toucher du coude son œil que son nez : ce dicton signifie simplement qu’il faut s’abstenir de toucher son œil ou son nez quand on en souffre. Non patitur ludum fama, fides, oculus, disaient les Latins. Les Anglais ont le même dicton hygiénique : You should never touch your eye but with your elbow. Et aussi les Espagnols : El mal del ojo curarte con el codo (Guéris ton mal d’yeux avec ton coude).
Les Anglais ont encore un dicton du même genre qui s’adresse aux gens qui ont la dégoûtante habitude de se curer les dents à table. Never pick your teath at table till you can do it with your elbow (Ne vous curez pas les dents à table avant de pouvoir le faire avec votre coude). Sage maxime que, par respect pour leurs voisins, nombre de Français devraient méditer.

Œil ouvert

France, 1907 : Crédit chez un cafetier, un débutant. Sans remonter aux Grecs pour l’origine de cette expression, je me rangerai volontiers de l’avis d’Alfred Delvau, qui pense que, pour avoir l’œil, les clients ont commencé par faire de d’œil à la dame de comptoir. Voir Faire l’œil.

L’œil ouvert se fermait partout. Nous ne pouvions plus mettre les pieds dans la rue sans apercevoir une figure de créancier qui nous guettait au passage. D’abord ils vinrent nous relancer jusque dans nos chambres, mais les adjudants Péchiné et Metzmaker donnèrent la consigne aux hommes de garde le ne laisser pénétrer aucun paletot.

(Hector France, L’Homme qui tue)

Œil pour œil et dent pour dent

France, 1907 : Locution tirée de la Bible. Rendre à quelqu’un le mal pour le mal ; la peine du talion ; le contraire de la morale évangélique qui recommande le pardon des offenses.

Si des individus ont une rixe et portent à une femme enceinte des coups qui ont pour effet un avortement sans qu’il y ait d’autre dommage, ils paieront une amende telle que la leur imposera le mari de la femme, et ils s’en acquitteront devant des arbitres. Mais s’il y a d’ailleurs dommage, tu rendras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, plaie pour plaie, contusion pour contusion.

(Exode, XXI, 22-25)

Œil qui dit merde à l’autre

Rigaud, 1881 : Œil affecté de strabisme.

Virmaître, 1894 : Deux yeux qui ne vivent pas en bonne intelligence, qui se regardent en chiens de faïence (Argot du peuple). V. Guigne à gauche.

Œil qui dit zut à l’autre

France, 1907 : Strabisme. Un œil qui ne vit pas en bonne intelligence avec son confrère.

Quelle mignonne créature la petite Adelaïde, dodue, ferme, gentille, toujours rieuse et gaie avec ses petits nénets d’adolescente pointant légèrement son corsage d’indienne, ses cheveux châtains aux tresses épaisses comme des câbles, ses pieds de Cendrillon et ses gros mollets !… Mais voilà ! elle avait un œil qui disait zut à l’autre et l’on ne pouvait vraiment l’admirer que de dos ou de profil.

(Les Propos du Commandeur)

Œil sur le plat

France, 1907 : Regard noyé et tendre.

Œil, du cheveu et de la dent (avoir de l’)

Rigaud, 1881 : Être encore bien, être d’une beauté très suffisante, en parlant d’une femme. Elle a de l’œil, du cheveu et de la dent, les trois beautés théologales.

Œillade américaine

Delvau, 1864 : Coup d’œil égrillard, que lance une femme à l’homme qu’elle veut allumer, et qui promet ordinairement plus de beurre que de pain.

L’œillade américaine est grosse de promesses : elle promet l’or du Pérou, elle promet un cœur non moins vierge que les forêts vierges de l’Amérique, elle promet une ardeur amoureuse de soixante degrés Réaumur.

(Édouard Lemoine)

Œillade de télégraphiste

France, 1907 : Signe rapide que se font entre eux les grecs pour voler au jeu. On dit aussi coup de chasse.

Œillets

France, 1907 : Yeux ; argot populaire. Cligner des œillets.

Œuf

d’Hautel, 1808 : C’est au beurre et aux œufs. Se dit trivialement de tout ce qui est bon, bien fait et utile ; et notamment des alimens, pour exprimer qu’ils sont bons au suprême degré. Cette locution vient de ce que les marchands de petits pains qui courent le matin les rues de Paris, crient, pour engager les passans à leur acheter, ils sont au beurre et aux œufs.
Il pond sur ses œufs ; il couve ses œufs.
Signifie qu’un homme est riche ; qu’il n’a pas besoin de travailler pour vivre ; qu’il thésaurise.
Il est fait comme deux œufs, comme quatre œufs. Se dit d’un homme mal vêtu, mal bâti.
Plein comme un œuf ; rond comme un œuf. Se dit lorsqu’on a beaucoup mangé ; et que l’on est très repu.
On dit habituellement et vicieusement au singulier ou au pluriel, un eufe et des eufes ; au singulier, il faut prononcer un œufe, et au pluriel des œufs, comme dans le pronom personnel eux.
Le besoin de cette prononciation se fait mieux sentir quand ce mot est joint à un adjectif.
Des œufs durs, des œufs rouges ; et non des œufes durs, etc. Il en est de même du mot bœuf.

Rigaud, 1881 : Tête, — dans le jargon des voyous. Et principalement tête chauve.

Œuf (casser son)

Rigaud, 1881 : Faire une fausse couche. (L. Larchey)

France, 1907 : Faire une fausse couche ; argot populaire.

Œuf (plein comme un)

Larchey, 1865 : Soul. — Casser son œuf : Faire une fausse couche.

Œuf de colomb (c’est l’)

France, 1907 : Se dit d’une chose facile que l’on n’a pu faire, mais qu’on trouve toute simple quand on la voit faire, en s’étonnant de ne pas y avoir songé plus tôt.
Christophe Colomb se trouvait à table avec quelques gentilshommes espagnols, on lui objecta qu’après tout rien n’était plus aisé que d’avoir découvert le nouveau monde. — « Sans doute, répliqua-t-il, mais il fallait y songer. » Prenant alors un œuf dur sur la table, il paria que personne de la compagnie ne parviendrait à le faire tenir sur la pointe. Chacun l’essaya, mais en vain. — « Rien n’est plus simple cependant, dit Colomb. Tenez, regardez. » Et prenant un œuf, il le plaça sur la table d’un mouvement brusque et sec, ce qui aplatit la pointe et le fit tenir debout. Tous se récrièrent : « Parbleu ! le procédé est trop facile ! — Sans doute, mais pourquoi nul de vous n’y a-t-il songé ? »

Œuf pour avoir un bœuf (donner un)

France, 1907 : Dans le VIe chant de l’Iliade, Glaucus, en échange du présent que lui fit Diomède d’armes d’airain estimées à neuf taureaux, lui donna des armes d’or de la valeur de cent. Peut-être le proverbe vient-il de là. Les anciens disaient encore : donner de l’or pour du cuivre.

Œuf sur le plat

France, 1907 : Pièce d’or sur une pièce de cinq francs ; argot des joueurs.

Une chose très redoutée, c’est l’œuf sur le plat… Il est de tradition que le joueur qui, par ignorance ou par inadvertance, place ainsi sa mise, fuit perdre forcément.

(Hogier-Grison, Pigeons et Vautours)

Œuf sur le plat (un)

Rigaud, 1881 : Vingt-cinq francs en un louis d’or et une pièce de cinq francs en argent. La pièce d’argent représente le blanc de l’œuf, la pièce d’or, le jaune.

Œufs de Naroth

France, 1907 : Mucosités blanchâtres qui se trouvent entre les rides transversales du col de l’utérus. Terme médical.

Œufs sur le plat

Rigaud, 1881 : Seins petits et mous, — dans le jargon des bourgeoises. Un beau corsage, la femme de l’adjoint. — Taisez-vous ! deux œufs sur le plat !

Rossignol, 1901 : La femme qui a des petits seins a des œufs sur le plat, quelquefois même des œufs sur le plat dont on a retiré le jaune.

France, 1907 : Seins plats.

— Et puis, maigre comme un cent de clous ! Faut vraiment qu’il aime les œufs sur l’plat…

(Albert Cim)

N’allez pas me dire qu’une femme qui n’a que deux œufs sur le plat posés sur la place d’armes peut avoir une fluxion vraisemblable à une personne avantagée comme la commandante.

(Ch. Leroy, Le Colonel Ramollot)

…Dans l’Indre, à Châteauroux…
On voit sur des vitraux un hommage charmant :
Sainte Agathe offre à Dieu, pour qu’aux cieux elle plaise,
Deux beaux œufs sur le plat surmontés d’une fraise.

(Alfred Lecomte, La Voie du philosophe)

Œuvre

d’Hautel, 1808 : Reprendre quelqu’un en sous œuvre. Tendre un nouveau piège à une personne que l’on n’a pas réussi à tromper du premier abord.
C’est l’œuvre de Notre-Dame, qui ne finit jamais. Se dit par raillerie d’un ouvrage dont on ne voit pas la fin, parce que, dit-on, il y a quelque chose qui n’a pas été achevé dans ce monument religieux.
Il ne fait œuvre de ses dix doigts. Se dit d’un fainéant, d’un paresseux, qui reste toute la journée à ne rien faire.
À l’œuvre on connoît l’ouvrier. Pour dire, qu’on ne peut juger d’un ouvrier que quand on l’a employé.

Delvau, 1864 : L’acte vénérien.

Qu’autant de fois que la fillette,
Commettrait l’œuvre de la chair.

(Cabinet satyrique)

Or, les œuvres de mariage
Étant un bien, comme savez.

(La Fontaine)

Ces mécréants, au grand œuvre attachés,
N’écoutaient rien, sur leurs nonnains juchés.

(Voltaire)

Œuvre on connaît l’artisan (à l’)

France, 1907 : C’est le débat d’une fable de La Fontaine, Les Frelons et les Mouches à miel.
Ce dicton, qui se passe d’explication, remonte à Solon, suivant Sophocle, ou a Bias, suivant Aristote. « L’emploi, disait-il, fait connaître l’homme. »

Œuvropathe

France, 1907 : Esthète, qui a la maladie de la pose. Néologisme formé des mots œuvre et pathos, en grec : maladie.

Connaissez-vous les Œuvropathes,
Les pauvres malad’s du moment ?
Leur manie est d’fair’ des épates
De costume et de boniment ;
L’Théâtr’ qui leur sert de pénates
Semble de l’art la P’tit’ Maison…
Oh ! la la ! ces têtes,
Les esthètes,
Oh ! la la ! ces têt’s qu’ils ont !

(Xanrof)


Argot classique, le livreTelegram

Dictionnaire d’argot classique