d’Hautel, 1808 : Taper de l’œil. Se laisser aller au sommeil ; dormir profondément.
Retaper de l’œil. Redormir après un sommeil interrompu ; dormir de plus belle.
Tortiller de l’œil. Finir, ses jours ; mourir, s’endormir dans l’éternité.
Elle lui a donné dans l’œil. Se dit d’une femme qui a su plaire à un homme, qui a gagné son cœur.
Pas plus que dans mon œil. Pour dire point du tout.
Cela n’est pas pour tes beaux yeux. Signifie, ce n’est pas pour toi ; n’y compte pas.
L’œil du fermier vaut fumier. Pour dire que tout fructifie sous l’œil du maître.
Autant vous en pend à l’œil. Pour, il peut vous en arriver tout autant.
Une mouche qui lui passe devant les yeux, le fait changer d’avis. Se dit d’un homme inconstant et léger, qui change à chaque instant d’avis.
Cette chose lui crêve les yeux. Pour dire est ostensible, très-évidente.
Quand on a mal aux yeux, il n’y faut toucher que du coude. Pour, il n’y faut point toucher du tout.
Des yeux de chat. De petits yeux hypocrites.
Des yeux de cochon. Des yeux petits et renfoncés.
Des yeux de bœufs. De gros yeux très-saillans et fort bêtes.
Le peuple désigne ordinairement et par facétie le pluriel de ce monosyllabe par le nom de la première lettre qui le compose, et dit des II (grecs) pour des yeux.
Vidocq, 1837 : s. m. — Crédit.
Larchey, 1865 : Crédit. — Noté comme terme d’argot dans le Dictionnaire du Cartouche de Grandval, 1827.
Je vous offre le vin blanc chez Toitot ; — j’ai l’œil.
(Chenu)
La mère Bricherie n’entend pas raillerie à l’article du crédit. Plutôt que de faire deux sous d’œil, elle préférerait, etc.
(Privat d’Anglemont)
En m’achetant à l’œil, ma plus belle marée.
(Ricard)
Ouvrir l’œil : Accorder du crédit.
La fruitière n’a jamais voulu ouvrir d’œil : elle dit qu’elle a déjà perdu avec des artistes.
(Champfleury)
Fermer l’œil : Ne plus vouloir accorder de crédit. — Donner dans l’œil : Plaire, fasciner.
Ma personne avait peine à te donner dans l’œil.
(Le Rapatriage, dix-huitième siècle)
Avoir de l’œil, Tirer l’œil : Produire de l’effet. — Terme d’impression. On dit aussi en parlant d’un tableau à effet qu’il a de l’œil.
La chose a de l’œil. C’est léger, mais c’est trop léger.
(A. Scholl)
Aux provinciaux que l’œil de son ouvrage a attirés chez lui.
(P. Borel)
Faire l’œil :
Le faiseur d’œil n’a pas de prétention positive. Il promène sur toutes les femmes son regard de vautour amoureux ; il a toujours l’air d’un Européen lâché au milieu d’un sérail… Pourtant aucune femme n’est le point de mire de cette fusillade de regards. C’est au sexe entier qu’il en veut. Il fait l’œil, et voilà tout.
(Roqueplan)
V. Américain. — Ouvrir l’œil : Sur veiller attentivement. — Se battre l’œil, la paupière : Se moquer.
Gilles. Ah ! fussiez-vous elle ! — Isabelle. Ton maître s’en bat l’œil.
(le Rapatriage, parade, dix-huitième siècle)
Que Condé soit trompé par le duc d’Anjou, je m’en bats l’œil !
(A. Dumas)
Mon œil ! Synonyme de Des fadeurs ! Des navets ! V. ces mots.
Quand le démonstrateur expose la formation des bancs de charbon de terre, mon voisin s’écrie avec un atticisme parfait : Oui ! mon œil ! Au système du soulèvement des montagnes, il répond triomphalement : « Oui ! Garibaldi ! »
(E. Villetard)
Cette expression est typique. Dès qu’une chose est à la mode au point d’accaparer toutes les conversations, les Parisiens procèdent eux-mêmes contre leur engouement, et font de son objet une dénégation railleuse essentiellement variable. C’est ainsi qu’après les événements d’Italie, on a dit : Oui ! Garibaldi ! — Auparavant, on disait : Oui ! les lanciers ! parce que cette danse avait envahi les salons. — Taper de l’œil :
Dormir profondément.
(d’Hautel, 1808)
Monsieur, faites pas tant de bruit, je vais taper de l’œil.
(Vidal) 1833.
Si nous tapions de l’œil ? Ma foi ! j’ai sommeil.
(L. Gozlan)
Tourner, tortiller de l’œil : Mourir. V. d’Hautel, 1808.
J’aime mieux tourner la salade que de tourner de l’œil.
(Commerson)
J’voudrais ben m’en aller, dit le pot de terre en râlant. Bonsoir, voisin, tu peux tortiller de l’œil.
(Thuillier, Ch)
Pas plus que dans mon œil. V. Braise. — Œil de verre : Lorgnon.
Ces mirliflors aux escarpins vernis, Aux yeux de verre.
(Festeau)
Quart d’œil : Commissaire de police.
Delvau, 1866 : s. m. Bon effet produit par une chose, bonne façon d’être d’une robe, d’un tableau, d’un paysage, etc. On dit : Cette chose a de l’œil.
Delvau, 1866 : s. m. Crédit, — dans l’argot des bohèmes. Avoir l’œil quelque part. Y trouver à boire et à manger sans bourse délier. Faire ou ouvrir un œil à quelqu’un. Lui faire crédit. Crever un œil. Se voir refuser la continuation d’un crédit. Fermer l’œil. Cesser de donner à crédit.
Quoique M. Charles Nisard s’en aille chercher jusqu’au Ier siècle de notre ère un mot grec « forgé par saint Paul » (chap. VII de l’Épître aux Éphésiens, et chap. III de l’Épître aux Colossiens), j’oserai croire que l’expression À l’œil — que ne rend pas du tout d’ailleurs l’όφθαλμοδουλεία de l’Apôtre des Gentils — est tout à fait moderne. Elle peut avoir des racines dans le passé, mais elle est née, sous sa forme actuelle, il n’y a pas quarante ans. Les consommateurs ont commencé par faire de l’œil aux dames de comptoir, qui ont fini par leur faire l’œil : une galanterie vaut bien un dîner, madame Grégoire le savait.
Delvau, 1866 : s. m. Le podex, — dans l’argot des faubouriens facétieux. Crever l’œil à quelqu’un. Lui donner un coup de pied au derrière.
Rigaud, 1881 : Crédit. — L’œil est crevé, plus de crédit. C’est-à-dire l’œil du crédit est crevé. Une vieille légende fait mourir Crédit d’un coup d’épée qu’il a reçu dans l’œil. Sur les anciennes images d’Épinal ou voit Crédit succombant à sa blessure et au-dessous cette devise : Crédit est mort, les mauvais payeurs lui ont crevé l’œil.
France, 1907 : Crédit. Avoir l’œil, avoir crédit chez un débitant.
Une fois son argent reçu, le compositeur paie les dettes qui lui semblent les plus essentielles : c’est le marchand de vin et le gargotier où il pourra retrouver du l’œil, c’est-à-dire du crédit.
(Jules Ladimir, Le Compositeur typographe)
Avoir l’œil se dit aussi dans le sens de faire attention, voir ce qui se passe autour de soi. « Il faut avoir l’œil dans notre métier, disait une matrone de maison à gros numéro, et surtout ne pas le faire, »